Article pris sur Rue89 à propos du projet de taxer les expatriés
Impôts : lettre ouverte d'un expatrié à Hollande et Sarkozy
Benoît Kornmann
L’exil fiscal a pris récemment de l’importance dans la campagne depuis que Nicolas Sarkozy a proposé de taxer les revenus des Français de l’étranger. Il a précisé que cette taxation s’appliquerait aux exilés fiscaux seulement, et que les expatriés en seraient exemptés, sans toutefois préciser sur quelle base le distinguo entre exilé et expatrié serait fait.
François Hollande a surenchéri en promettant de taxer tous les Français de l’étranger sur le revenu et sur la fortune, sans distinctions.
Il s’agit pour les deux candidats que les Français de l’étranger fassent une déclaration de revenu et de fortune en France, en y incluant la somme déjà taxée par leur pays hôte, et si la somme est inférieure à ce que taxerait la France, de régler la différence au fisc français.
Si les cas de Johnny Hallyday ou d’autres riches sportifs d’élite scandalisent les Français, une telle mesure serait inique et injustifiée pour la vaste majorité de Français de l’étranger qui se sont expatriés pour des raisons personnelles ou professionnelles, et non pour des raisons fiscales.
Naissance en Suisse, études aux Etats-Unis
Pour l’illustrer, je me baserai sur mon cas personnel. Je suis français, né de parents français. Mes grands-pères étaient l’un sur la ligne Maginot et l’autre dans la Résistance ; mes arrières grand-pères furent des poilus, l’un d’eux a perdu sa jambe aux Dardanelles. J’ai donc un attachement à la France qui me vient de l’héritage familial.
Mes parents ont suivi une opportunité professionnelle qui les a menés à Genève au début des années 70. A la fin de cette même décennie, j’y suis né. Scolarisé dans les écoles publiques du canton, j’ai acquis la nationalité suisse par naturalisation à l’adolescence, tout en conservant la nationalité française à laquelle je suis toujours attaché.
Issu d’une génération qui a grandi dans une société globalisée, et à qui les frontières nationales représentent peu, j’ai commencé ma vie professionnelle aux Etats-Unis, au bénéfice d’une bourse de l’Etat suisse, puis suis revenu en Suisse avec ma compagne (française elle-aussi) pour m’établir à Zürich.
Où dois-je donc payer mes impôts et que dois-je à l’Etat français ?
Des propositions injustes
Dans mes cours d’éducation civique, j’ai appris que l’impôt était une contrepartie à payer pour profiter des infrastructures de l’Etat : la sécurité, l’éducation, la santé, etc. Si tel est le cas, je ne dois payer mes impôts qu’en Suisse. Ma sécurité est assurée par les forces armées et de police suisse, l’éducation de mes futurs enfants sera assurée par l’école publique zürichoise, et lors de maladies ou d’accidents, je serai soigné dans des hôpitaux suisses aux frais de caisses maladie suisses.
Les seules infrastructures de l’Etat français auxquelles je fais appel sont les services consulaires, tous les dix ans pour refaire ma carte d’identité et tous les cinq ans pour voter aux élections présidentielles (cette année sera la première où je voterai aux législatives grâce au redécoupage électoral de 2009 qui réserve onze circonscriptions aux Français de l’étranger).
Est-ce que payer des impôts en France me donnera accès aux services de l’Etat français ? La Sécurité sociale prendra-t-elle en charge mes frais d’hospitalisation en Suisse quand je serai malade ? L’Etat français prendra-t-il en charge l’éducation de mes enfants dans une école privée suisse, comme il le fait pour des écoles libres françaises ? Aurai-je droit à des allocations familiales ? L’Etat français me paiera-t-il des indemnités de chômage quand je perdrai mon emploi ?
La réponse à toutes ces questions est bien évidemment non, ou alors ces mesures proposées par les deux candidats coûteront beaucoup plus cher qu’elles ne rapporteront.
Ici, on me rétorquera qu’il ne s’agit pas de payer l’impôt en France mais seulement de payer la différence à l’Etat français. Il s’agira donc pour l’expatrié de payer l’impôt essentiellement à l’étranger mais selon un barème français.
Ceci est injuste pour deux raisons :
-chaque Etat adapte sa politique fiscale aux prestations qu’il propose. La politique suisse est bien moins tournée vers l’Etat-providence que la politique française. Pas de Sécurité sociale, de smic, de RMI ou de RSA ; les indemnités chômage sont moins longues, le temps de travail est plus long et les vacances plus courtes. L’Etat propose une éducation publique de qualité mais ne donne pas un sou à l’école libre.
Il est donc normal que la fiscalité sois moindre qu’en France. Cela entraîne des coûts que les Français ignorent. Par exemple, en l’absence de Sécurité sociale, chaque résident de Suisse doit obligatoirement donner un minimum de 3 000 euros par an à une caisse maladie privée. Voilà le prix à payer pour un système de santé dont les comptes sont équilibrés. Mais pas de trace de cela sur ma feuille d’impôt. La France me demandera de payer pour son Etat-providence alors que je ne recevrai de la Suisse que le service minimum ;
- les coûts de la vie en France et en Suisse ne sont pas du tout comparables. Zürich est récemment devenue officiellement la ville la plus chère du monde, devant Tokyo. Un beefsteak y coûte facilement 10 euros, une place de cinéma 15. Si l’on se fie au Big Mac index de The Economist, le coût de la vie est près de deux fois plus élevé en Suisse que dans l’euro-zone. Cela est en partie dû au mauvais état de l’euro, secoué par les crises des dettes publiques. L’euro qui s’échangeait, il y a peu, contre 1,70 franc suisse, ne coûte plus guère qu’1,20 franc suisse.
Si tout est plus cher en Suisse, les salaires sont aussi plus élevés. Le salaire médian Suisse est proche de 6 000 francs (5 000 euros), à comparer avec les 1 00 euros médians en France. Dû aux différences de coût de la vie, ce salaire médian suisse donnera un pouvoir d’achat comparable à un salaire médian français.
Le problème est que les tranches des barèmes d’impositions françaises ne sont pas adaptées aux salaires suisses. Avec un salaire médian suisse, qui me donnera un pouvoir d’achat médian, j’aurai un taux d’imposition médian en Suisse. Mais mon salaire suisse sera assujetti à une imposition élevée en France, car il y correspondra à un salaire de nanti. La différence que je devrai à l’Etat français sera donc beaucoup trop importante et déconnectée de la réalité de mon pouvoir d’achat.
On émigre car on pense mieux réussir ailleurs
Suis-je un cas exceptionnel ? Je ne le pense pas. Tant aux Etats-Unis qu’en Suisse, j’ai eu l’occasion de croiser bon nombre de Français. Tous, sans exception, ont quitté la France pour suivre des opportunités professionnelles. Tous ont des salaires moyens et peu ou pas de fortune à mettre à l’abri du fisc français.
Je n’ai jamais rencontré de nantis qui profitent du système français et ne veulent pas payer leur dû, mais j’ai connu de nombreux travailleurs qui ont quitté le confort de leur petite vie française pour chercher ailleurs des opportunités que la France ne savait leur offrir.
Et c’est peut-être là une vérité qui fait mal et qu’on essaie de cacher : on ne quitte pas la France car on y a trop bien réussi, on émigre car on pense mieux réussir ailleurs.
Pour ma part, si un tel impôt voit le jour, j’abandonnerai avec regret ma nationalité française. Je renoncerai à l’idée – romantique – de faire partie de ce pays que j’aime tant, bien qu’il ne m’ait personnellement rien donné, et qui pense que je lui doit de l’argent.
J’en viendrai à une triste réalité – pratique : je ne suis que suisse, la Suisse m’a tout donné, je lui doit tout. Je dois, pour des raisons comptables, tirer un trait sur mon passé et mon histoire familiale. Mais peut-être n’y a-t-il plus de place pour le romantisme dans ce monde.